Le soir arrivait sur Novama et le soleil allait bientôt disparaître derrière les collines de la ville ouvrière de Dastornia. Volodia avait justement terminé la messe du soir dans son église et était entré dans son humble demeure attenante à la maison de Dieu. Il s'y changea, déposa sa soutane usuelle et s'abilla en simple civil. Alevtina, sa jeune et belle femme, observa le tout avec crainte. Elle voulut lui demander où il se rendait encore à cette heure, habillé de cette manière?
- Où vas-tu donc encore, mon doux Volodia?
- Une de ces fameuses réunions, ma mie, je dois m'y rendre comme tu le sais bien...
- Oh! Je vois! Sois prudent surtout!
Quelques embrassades plus tard, le vieux Russlave marchait déjà dans les rues sombres de la ville. Coiffé d'une casquette en peau de lapin - très répandu parmi les moujiks de Russlavie - et habillé d'un long manteau noir et frippé, il pressa le pas. Volodia était bien plus qu'un simple prêtre, il avait d'autres employeurs que Dieu... En Russlavie, on apprenait à vivre dans des conditions difficiles, à s'adapter à tout.
L'homme ne tarda pas à arriver devant un immeuble délabré des quartiers ouvriers de Novama, il frappa de manière spéciale à sa porte. Aussitôt, une silhouette noire lui ouvrit et le laissa entrer. Une odeur acre fit son chemin dans les narines de Volodia, mais celle-ci ne le dégoûta pas. Au contraire, elle lui était bien connue et il s'en était habitué depuis son enfance. On le mena à la cave, doucement la dernière porte en bois s'écarta en grinçant. Le prêtre s'introduisit dans la chambre, occupée par une vingtaine de personnes. Tous étaient des ouvriers, tous étaient pauvres, nombreux étaient ceux qui avaient des bandages... Des blessures reçues vendredi passé, un triste jour pour le mouvement ouvrier de Novama. Un travailleur de grande taille, portant de longues moustaches touffues se leva et apostropha cyniquement le nouveau venu.
- Eh bien, "Monsieur" Dimitrievitch? Que dites-vous de ces événements récents qui nous ont tous bouleversés?
- Fort regrettable, "tovaritch ouvrier", un simple suicide, vous n'avez pas suivi mes conseils et mes consignes...
- C'est exact, "mon père", et nous avons tous gobé vos belles histoires apparemment! Nous avons tous cru que votre Okhrana avait suffisamment de soutien dans la police dastornienne pour lui éviter de nous massacrer...
- Je le croyais aussi, "mon fils", mais il semblerait qu'on m'ait mal informé sur ce point. Rassurez-vous le fautif sera éliminé encore cette nuit.
- Vous êtes trop bon, camarade... Mais, dites-moi, pourquoi déjà l'Okhrana est-elle intéressée de nous soutenir dans notre lutte pour l'égalité et la liberté?
- Je n'ai pas de compte à vous rendre sur ce point, je suis les directives, je ne suis qu'un rouage parmi tant d'autres.
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