Cérémonie de remise de médailles

Le Gouvernement Provisoire, sur ordre du Père du Peuple, informa la population que les grévistes, et les bouddhinstes, ayant participés au Vendredi Rouge, ainsi que les familles des disparus victimes de la répression, étaient invités le premier septembre à se rendre dans les jardins du Palais Royal pour une grande cérémonie durant laquelle ces héros seront médaillés, dont certains à titre post-hume, aprés six mois d'emprisonnement.

Les préparatifs au Palais avançaient. De nombreux miliciens, plusieurs centaines, préparaient la sécurité des lieux.

Note :
2800 manifestants (1250 blessés-141morts)
dont 120 boudhinstes (4 morts)

La plus grande partie des manifestants du Vendredi Rouge furent présents dans les jardins du Palais. Les plus épuisés d'entre eux aprés leur calvaire dans les geôles du tyran avaient été appuyés par le Gouvernement Provisoire, leur assurant des soins pour qu'ils puissent se remettre. Aujourd'hui ils profitaient d'un buffet et des louanges des hommes du Gouvernement Provisoire, mêlant l'éloge de leur combat et la reprise de celui-ci par le Père du Peuple.

Au pied de la façade du Palais était dressée une estrade, accueillant le Père du Peuple et ses plus proches conseillers. On y attendait notamment un représentant officiel du Temple Bouddhinste pour la participation de ses fidèles aux grèves ouvrières.

Non loin était dressé un orchestre, où un tenor et un choeur reprenaient une chanson sur le Vendredi Rouge.

Citation :: Je ne peux pas croire les faits d'aujourd’hui
Je ne peux même pas fermer les yeux et faire disparaître tout ça
Combien de temps, combien de temps devons-nous chanter cette chanson ?
Combien de temps ? Ce soir, nous sommes enfin unis
Après les balles tirées contre des corps d'ouvriers
Des corps qui jonchent une rue sans issue
Mais je n’écouterais pas le cri de guerre
Il me met dos au mur, dos au mur

Vendredi, vendredi sanglant
Vendredi, vendredi sanglant

Et la bataille s'est enfin achevée
Beaucoup sont perdus, pour nous retrouver
Des tranchées sont creusées dans nos cœurs
Et des mères, des frères et des sœurs déchirés

Vendredi, vendredi sanglant
Vendredi, vendredi sanglant

Combien de temps, combien de temps devrons nous chanter cette chanson ?
Combien de temps ? Ce soir, nous sommes enfin unis
Ce soir, ce soir

Vendredi, vendredi sanglant
Vendredi, vendredi sanglant

Sèche tes larmes
Essuie tes larmes
Essuie tes yeux injectés de sang

Vendredi, vendredi sanglant
Vendredi, vendredi sanglant

Et aujourd'hui des millions de gens pleurent
Nous mangeons et nous buvons tandis qu'hier ils sont morts
La grande bataille s'est achevée
Pour clamer la victoire désormais remportée
Un vendredi, un vendredi sanglant
Vendredi, vendredi sanglant

Le Père du Peuple demanda à un de ses conseillers, alors que la chanson s'achevait bientôt :

- Et bien, j'avais exigé la présence d'un représentant du Temple, où est-il ?

- Je ne sais pas Camarade Père du Peuple, je ne sais pas, répondit-il gêné... Je vais me renseigner, il devrait arriver bientôt.

- Je l'espère...

Mais le conseiller n'eut qu'à peine le temps de se redresser que déjà la délégation du Temple - qui se composait de Lajita Ayushmati et de quelques Maîtres de renom - arrivait. La chef de file des fidèles s'excusa brièvement de cet impardonnable retard, évoquant d'une voix sybilline un "pauvre garçon qui s'était réveillé d'un bien long sommeil". Mais seul Valezo pouvait comprendre de qui il s'agissait.

Le Père du Peuple inclina la tête, compréhensif. Puis les artistes achevèrent leur prestation sous les applaudissements du public et du Comité. Lorsque ceux se retirèrent, Valezo se leva et s'avança sur l'estrade tandis que les militaires serraient les rangs.

- Citoyens, citoyennes, Camarades,

Le Vendredi Sanglant est pour moi le premier tribut de la révolution, mais aussi son annonce. Le courage des prolétaires, fatigués par l'exploitation, s'y était révélé. La force passive des bouddhinstes les soutint contre l'oppression totalitaire. Ce fut une première et juste union qui nous a conduit maintenant à la liberté. Héros, nous sommes fiers de vous.

De nouveaux applaudissement, puis d'un signe de tête il invita le Grand Maître à prendre la parole à son tour.

Lajita alla rejoindre le Père du Peuple sur l'estrade, un air digne, profond sur son visage ridé. Quand les applaudissements eurent cessé, elle prit à son tour la parole :

- Une centaine de fidèles pour trois milles manifestants, commença-t-elle, ont risqué leur vie par solidarité avec les ouvriers. C'est peu, je vous l'accorde : en vérité, le Temple n'a que bien peu de mérite dans cette révolution, sinon d'avoir été là et d'être resté, peu importe le danger encouru. Les Bouddhinstes ont participé à l'action parce qu'ils ont vu comment vivaient les ouvriers, de quelle manière ils étaient injustement exploités : ils avaient faim de nourriture, soif de connaissance, mais les classes supérieures - indifférentes à leur sort - préféraient sciemment ignorer leurs appels à l'aide. Nous vivions alors dans un système qui poussait tout à chacun à l'avidité, la convoitise des richesses d'autrui... Et en menait certains à la haine, à la colère pour n'en avoir jamais assez. Choedaar définissait ces mots comme les Six Poisons de l'Esprit, car ils empêchent l'Homme de s'épanouir en toute quiétude. Puisse ce Vendredi Rouge en signer la mort à Dastornia.

Une légère pause entraîna quelques maigres applaudissements, qu'elle fit taire cependant :

- Mais il serait bon que nous ne tombions pas dans l'excès inverse, où l'esclave, libéré, en profiterait pour asservir son ancien Maître. Vous avez la chance, par votre travail, votre sacrifice, de vous être libérés de bien des maux qu'entraîne l'oisiveté. Estimez-vous heureux de voir revenir un équilibre dans le monde du travail - qu'il soit source de fierté, et non plus de souffrances inutiles. C'est pour tout cela que je souhaite rendre hommage aux cent quarante-cinq morts et mille deux cents cinquante blessés du Vendredi Rouge, quelle que soit leur confession. Car toute action bienveillante sert la divinité, d'une manière ou d'une autre.

De nouveaux applaudissements se manifestèrent pour Son Eminence, bien que plus modérés que pour Pierre Valezo, sans doute à cause du charisme légèrement moindre de la Bouddhinste auprès de la masse ouvrière.

Un proche de Pierre Valezo lui apporta une pile de documents, comportant les noms des grévistes et militants bouddhinstes du Vendredi Rouge. Le Père du Peuple commença l'appel :

- Camarade Jean Ernatz, ouvrier tourneur-fraiseur, blessé à la cuisse pour avoir combattu l'inégalité, la répression et la dictature. Un homme boiteux monta sur l'estrade. Reçoit la Médaille du Mérite. Pierre Valezo prit une décoration que lui avait apporté un de ses seconds, et la mis autour du cou de l'ouvrier. Le Peuple et la Patrie te sont reconnaissants.

- Camarade Célastine Filibert, mère du Camarade Grégorian Filibert, ouvrier métallurgiste, assassiné pour avoir combattu l'inégalité, la répression et la dictature. Une femme âgée, tenant à la main un jeune enfant, monta également sur l'estrade tandis que Jean Ernatz rejoignait le public pour être complimenté par sa famille et ses amis. Reçoit pour ton défunt fils la Médaille du Mérite à titre posthume. Le Peuple et la Patrie sont reconnaissants pour le sacrifice de ta famille. Que sa mort ne soit pas vaine.

Les appelés et les remises de médaille se succédèrent durant quelques heures.

Après le passage sur l'estrade, chacun des médaillers reçut la bénédiction du Temple bouddhinste par les mains du Grand Maître en personne. Quelques-uns arguèrent qu'ils étaient d'une autre confession, mais elle les assura, sourire aux lèvres, que ceux qui se battaient pacifiquement pour la fraternité pouvaient tous être associés au Choedaarisme, même s'ils n'adhéraient pas au Bouddhinsme. Si cela les dérangeait profondemment, cependant, elle ne pouvait les forcer à la recevoir... Mais peu refusèrent catégoriquement le geste de la vieille dame.

La cérémonie fut bien longue et éreintante. Deux ou trois médaillés durent même partir à cause de leurs blessures graves et encore vives qui ne leur permettaient pas de rester tant de temps sans repos.

- Que ce jour reste dans la Mémoire du renouveau de Dastornia, conclut Pierre Valezo lorsque le dernier médaillé quitta l'estrade. Soyez fiers de vous autant que le pays est fier de votre sacrifice. Tandis que la foule se dispersait, il espérait que ce spectacle populiste de reconnaissance du dévouement contribuait à renforcer son image, le moral du peuple et sa fidélité, tout en appuyant le Temple Bouddhinste auprés de la population...