Le Triumvirat

Deux silhouettes en habits d'ecclésiastiques se présentèrent à l'entrée du Palais Impériale, le visage masqué par un capuchon qu'on pouvait attribuer à l'hiver qui s'abattait sur Orion si ce n'était leur destination insolite. Alors que la garde du Père du Peuple était sur le point de les arrêter, la plus petite des deux se découvrit, dévoilant le visage ridé du Grand Maître Bouddhinste de Dastornia, à la grande stupéfaction du soldat de la révolution.

- Dis à Valezo que le Temple a bien reçu son message, annonça-t-elle après un moment de silence. La délégation demandée attend devant sa porte qu'il puisse la recevoir.

- Je vais chercher mon supérieur ! répondit aussitôt le garde, qui s'absenta quelques instants. Un officier arriva rapidement. Claude remarqua par les uniformes que les soldats présents, même les sentinelles, étaient tous membres du plus haut corps de l'armée révolutionnaire, les plus proches de Valezo. Le Père du Peuple semblait avoir assuré un entourage digne de confiance pour leurs affaires.

- Bienvenue, dit l'officier. Camarade Père du Peuple vous attends, suivez-moi. Ils furent conduits à l'étage, dans l'ancien bureau privé de l'Empereur, devenu cyniquement le coeur du pouvoir révolutionnaire. L'officier se retira et ferma la porte.

- Prenez place, les invita Pierre Valezo en indiquant deux fauteuils devant son bureau, et commençons au plus vite.

A travers les rues d'Orion, le prince Novamol suivait silencieusement le maître. La ville, qui portait toujours les traces sanglantes de la révolution, parsemée de milices révolutionnaire, lui semblait lugubre et menaçante, presque méconnaissable.
Enfin, leurs pas s'arrêtèrent devant le Palais Impérial, ou ce qu'il en restait. Le magnifique Palais Impérial, pris d'assaut par les rebelles quelques mois auparavant, avait été endommagé, et restait sans réparation...

*Le palais des Novamols... peuplé par la racaille et les voleurs*

Après quelques minutes d'attente, les deux délégués furent conduits à la rencontre du père du peuple.
Quand le prince entra au bureau où siégait avec orgueil Valezo, son coeur se serra. L'ironie du sort faisait que depuis ce même siège l'Empereur déchu gérait la Dastornia d'une main de fer!
Chassant de sa tête les heureux souvenirs d'une ère révolue, il entama l'entrevue avec Valezo.

"J'ai daigné te voir après avoir pris connaissance de tes projets pour le pays, alors qu'as-tu à me proposer?"

Pierre Valezo observa quelques instants l'héritier, l'homme qui devait devenir paradoxalement son adversaire, et son collaborateur. Le futur étrange du pays semblait voir son prémice dans cette scène, le paradoxe de l'union des antagonismes, le cynisme des lieux...

- J'ai à te proposer la stabilité du pays par la continuité de l'Empire à laquelle nous ajoutons la liberté du peuple. Le peuple exige des droits et la liberté, il faut évoluer en ce sens. Or, l'avenir ne peut se faire sereinement s'il existe des luttes internes. Voilà pourquoi la République ne peut se faire, car l'Impérialisme est bien ancré en Dastornia. A juste ou mauvais titre, mais qu'importe. L'unité est donc nécessaire, voilà la sagesse politique à laquelle nous devons nous soumettre, pour le bien du plus grand nombre.

- J'ai à te proposer l'héritage du trône. Un tiers du pouvoir te sera donné, au nom de l'Empire et de la force. Un autre tiers me reviendra, au nom du peuple et de la liberté. Le dernier tiers reviendra à Claude, au nom du spirituel et de la sagesse. De ces différences complémentaires naitra alors l'unité, et une nation puissante et heureuse.

Lajita suivit silencieusement le soldat - ou peut-être devrait-elle dire "garde d'élite" ? -, qui suivit un itinéraire qu'elle connaissait déjà : c'était celui-là même qu'elle avait empreinté lors de sa première visite, avant de recevoir l'étrange privilège de devenir le bras gauche d'un tyran. Pourquoi bras gauche ? Parce qu'elle espérait modérer ses ardeurs d'un peu de compassion.

Aujourd'hui, c'est un pacte avec un homme dangereux que la religieuse scellerait, et le comble était peut-être qu'elle en avait conscience...

Le Grand Maître s'assit sur l'un des fauteuils indiqués, le dos bien droit, un masque de gravité sur le visage. Elle regarda successivement ses deux futurs associés, mais ne prit pas la parole dans un premier temps : ils devaient s'appréhender par eux-mêmes s'ils voulaient gouverner ensemble. Mais était-ce vraiment leur souhait ? Le doute était permis, et l'ecclésiastique ne pouvait qu'espérer qu'ils sachent au moins faire mine de trouver des compromis.

Kamil écouta d'un air grave et sinistre les propos de Valezo.
Pour cet homme élévé dans la perspéctive de succéder à son père comme maître absolu de l'Empire, ces propos étaient outrageants. N'avoir que le tier du pouvoir qui lui revenait de droit du fait de sa descendance était avant quelques mois quelque chose d'inimaginable. Mais la situation avait changée, ce jour-là dans l'ancien bureau de l'Empereur Nelbin Ier, il n'était pas en position de refuser ou même de négocier. Il devait s'abaissait et mettre sa main dans celle de son ennemi pour assurer la survie de l'Empire et de la dynastie des Novamol.

Un long moment de silence passa avant que le prince ne réplique:

"J'y consens. L'heure est grave, et dans l'association de l'Empire aux réclamations du peuple réside le Salut de la Dastornia. Et pour cela il est nécessaire de laisser de côté nos différences et d'oeuvrer ensemble pour le bien du pays."

- Voilà de bien sages paroles, approuva la Grand Maître, un sourire bienveillant aux lèvres. Pour ce qui me concerne, le Clergé a déjà transmis sa réponse : nous acceptons le compromis qui nous a été présenté.

Pierre Valezo savourait cet instant, où l'héritier au trône se voyait soumis à l'ouvrier. Il peinait à retenir un sourire de satisfaction.

- Parfait. Voilà un choix judicieux. dit-il ironiquement. Claude, je pense que la conduite du couronnement te revient de droit.

- Bien. Avant tout, j'aimerais que vous vous rendiez compte que si le Bouddhinsme devient la religion d'Etat, il serait de bon ton que vous montriez l'exemple... L'un comme l'autre (Son regard s'attarda sur chacun d'eux.) Je ne forcerai personne à adhérer aux principes de Choedaar, mais, si la conversion vous intéresse, faites-le-moi savoir : je vous ferai parvenir d'ici peu quelques documentations à ce propos avant le couronnement. Ainsi, nous accomplirons les deux cérémonies en même temps.

Quelle date vous arrangerait ?

Ceci se fera lors du couronnement. Ainsi je laisse le choix à l'héritier, dit-il simplement.

- Je veux dire, pour le couronnement ? Il est certain que les deux cérémonies auront lieu le même jour, mais j'aimerais savoir combien de temps je dispose pour les préparatifs...

C'est bien ce que je disais : je laisse le choix de la date à l'héritier.

Pierre Valezo commença à s'impatienter... "J'ai dit : je laisse le choix de la date à l'héritier !"

Les propos sur la conversion troublèrent le prince. Certes il avait consenti à tendre sa main à celui qui peu avant était son pire ennemi, mais abandonner sa foi cathodoxe-orthodique ne lui effleura jamais l'esprit. Pourtant il fallait se l'avouer, le Bouddhinsme avait pris une très grande importance, pendant cette période de troubles du fait de sa présence dans la vie des Dastorniens, et son poid se trouva renforcer par la révolution. Associer le Temple au nouveau pouvoir était inévitable et comme ls Maître l'avait dit judicieusement, il fallait montrer l'exemple.
Plongé dans ses réflexions, l'héritier ignora ses interlocuteurs, mais vite exaspéré par le ton pris par Valezo il finit par répondre:

"Je consent à donner exemple aux Peuple en me convertissant au Boudhinsme, mais mon coeur reste et restera à jamais fidèle à la Foi de mes ancêtre: Nous, les Novamol, on est fils de l'Eglise Cathodoxe-Orthodique! Pour la cérémonie, le plus judicieux serait de l'organiser le plus vite possible, au plus tard dans deux mois.

Le prince se tut un instant, songeant cette fois à un tout autre problème, qui pour lui est tout aussi décisif.

"Je crois qu'à présent on est d'accord... Enfin que dit-je, il reste encore un certain détail à régler... C'est au sujet des autres membres de la famille impériale (Il posa son regard sur Valezo) J'ai cru comprendre que tu es bien renseigné sur cette question..."

Le prince caché sous son cynisme un grand affolement. Il n'avait pas renseignements sur son empereur de père, disparu lors de la prise du Palais par les révolutionnaires et il savait sa jeune soeur aux mains de Valezo. Sa coopération avec celui-ci avait d'ailleurs pour priorité assurer la sécurité des siens.