Réunion politique

Par une douce après-midi ensoleillée, Ira se promène dans les rues du quartier où il a élu domicile.
Il entre dans un café, un peu par hasard, et discute quelques minutes avec le tenancier, puis celui ci lui fait signe de le suivre dans l'arrière-salle.

Il y a là une dizaine de personnes; quelques unes saluent amicalement Ira, ce sont de vieux amis. Les autres ne le connaissent pas.

Ira, après avoir allumé une cigarette et commandé une bière, prend la parole:

- Amis, camarades. Pourquoi sommes nous là ?

Le silence plane quelques secondes.

- Pour continuer la Révolution ! Comme moi, vous avez un goût de trop peu, une déception amère. Ou est la république populaire qu'on nous a promis ?
Comme moi, vous pensez que la perpétuation de la monarchie, même de pacotille, est indigne d'un régime prolétarien.
Comme moi, vous voulez la vraie démocratie socialiste, celle des conseils.
Comme moi, vous ne comprenez pas ce compromis aberrant entre le Guide de la Révolution et la chienlit bouddhinste contre-révolutionnaire.

Un intervenant l'interrompt:

- Que veux tu ? Tu veux renverser le Guide ?

Ira répond, irrité:

- Non, c'est hors de question, le Guide incarne la Révolution. Au contraire, nous devons l'appuyer, lui faire comprendre qu'il doit poursuivre son oeuvre et abattre les derniers vestiges de la contre-révolution.

Le Guide s'est arrêté au milieu du gué; nous devons l'aider à poursuivre son oeuvre.

C'est pourquoi je vous ait réuni pour créer un nouveau parti, le parti des forces socialistes, à la gauche du Parti officiel, pour obliger celui-ci à aller de l'avant."

Les gens présents approuvent. On discute jusque tard dans la nuit, à grand renfort de boissons. Vers une heure du matin, on s'est enfin mis d'accord: le Parti Socialiste Révolutionnaire est né !
Reste encore à faire un programme, et surtout, à obtenir une autorisation du Ministère, ce qui n'est pas gagné...

- Oui, camarades, j'ai adhéré au Parti du Peuple, et je vous conseille à tous d'en faire de même.
Ce n'est pas un reniement, bien au contraire.

Ira regarde le sol, pensif, semblant chercher ses mots;

-Morts, marginaux, exclus du pouvoir, nous ne servons à rien.
Comme disait je ne sais plus qui, pour détourner un aéroplane, il faut monter dedans.
Puisque notre parti a été interdit, infiltrons le PdPL, et orientons le de l'intérieur.

Un camarade demande:

- Est ce à dire que le PSR n'existe plus ?

Réponse immédiate d'Ira;

- Bien sur que non ! Le Parti Socialiste Révolutionnaire continuera de vivre, mais de manière souterraine, clandestine. Nous allons d'ailleurs changer de lieu de rendez-vous. Le PSR développera une activité clandestine de propagande anti-impériale et anti-bouddhinste. Nous diffuserons des tracts, nous organiserons des réunions secrètes avec les chefs des syndicats, avec la paysannerie. Nous gagnerons les masses à notre combat.

Heu... camarade ? un des partisans, un homme prudent par nature, l'interpella. N'est-ce pas dangereux ? Je veux dire, je suis prêt à donner mon sang pour le peuple tout comme mon frère est mort à la prise du Palais Impérial, mais ne serait-ce pas jouer en défaveur de notre cause que d'user d'illégalité ? Car seul le Ministère de l'Information a le droit d'utiliser les méthodes de diffusion que tu nous proposes.

Après avoir été alerté, un milicien des services secrets pénétra dans le café... il s'installa silencieusement, tout en écoutant l'orateur...

-C'est bien ce que tu veux non? Organiser une contre révolution! fit froidement l'homme, vêtu d'une cape noire

Toute l'assemblée retourna à ses occupations comme si de rien n'était craignant la menace d'un traître..

-Quels sont tes ambitions plus précisément? posa t-il...

Ira dévisagea l'homme d'un regard froid puis partit d'un rire sec;

- Une contre-révolution, camarade ? Relis tes cours de merksisme. Quand ais-je dit que je voulais abattre le Guide ?

Au contraire, je veux continuer la Révolution. Je veux abattre les forces impérialistes avec lesquelle le Guide continue de composer. Je veux balayer les vautours du culte bouddhinste qui exploitent le peuple, je veux chasser cet empereur fantoche qui continue d'entretenir autour de lui un repaire de contre-révolutionnaires.

Voilà ce que je veux, camarade.

Un ouvrier prit la parole :

- Camarade Akram, je suis assez perplexe quant à notre position vis-à-vis du bouddhinsme. Le Temple Bouddhinste de Dastornia a toujours été concerné par la cause des plus pauvres. L'association Kunja par exemple, une association caritative bouddhinste, s'occupe de nombreux orphelins délaissés, et a donné beaucoup de dons pour les plus miséreux d'entre nous. Mon petit cousin a pu apprendre à lire grâce à leurs dons de livres, et lorsque j'étais dans le besoin j'ai pu apporter des repas à ma famille, à plusieurs reprises... Et camarades, n'oublions pas que la tragique grève ouvrière du Vendredi Rouge avait été soutenue par plus d'une centaine de manifestants bouddhinstes... C'est pourquoi, peut-être pourrions-nous avoir un avis plus compatissant vis-à-vis de ce culte...

Ce que disait cet homme était juste, Ira était forcé d'en convenir. Théorie et pratique se contredisaient. Dans la théorie merksiste, les religions, toutes les religions, étaient à bannir.
Mais dans la réalité dastornienne, Ira était bien forcé de convenir que le bouddhinsme avait vraiment été du côté des plus faibles contre le joug impérial.

De plus, Ira et ses camarades Socialistes-Révolutionnaires étaient à la recherche de soutiens. Pour survivre face à l'absolutisme valeziste et surtout face à son chien de garde Mao Zekong, il fallait que les SR deviennent plus qu'un groupuscule.

La défense du prolétariat paysan participait de cette idée. Une main tendue aux Bouddhinsmes, songeait Ira, serait aussi une bonne chose.

Il répondit donc;

- Tu as raison, camarade ouvrier. Jusqu'ici, je le confesse, je n'avais pas voulu voir que les bouddhinstes sont avant tout nos frères dans le socialisme et la démocratie populaire.... Mais d'un autre côté, ne soutiennent ils pas le régime en place ? L'odieux compromis qui voit perdurer L'Empire pour le plus grand profit de quelques uns, comme ce chien de Zekong ?

Ira s'abstient soigneusement de citer Valezo. Après avoir réfléchi; il ajoute;

- Camarade, ne pourrais tu pas organiser une rencontre entre un dignitaire du Temple et nous ? J'aimerais avoir une conversation avec ces gens, afin de voir si, comme tu le dis, ils peuvent réellement être nos alliés...

- Et bien, j'ai un ami à l'usine qui va régulièrement au temple Tejesh...varhardik. Il est croyant et c'est un homme de confiance. Je vais lui demander d'arranger un rendez-vous avec toi et un type du temple. Il termina sa bière, salua ses camarades présents et sur un "le Pouvoir au Peuple!" s'éclipça.

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