Retour d'une Cantatrice

Il n'avait pas été facile de rejoindre sa terre natale, la situation politique en Russlavie et Dastornia compliqua le voyage au-delà de toute attente : des marins refusèrent de s'embarquer pour un tel voyage, obligeant les voyageurs d'en recruter d'autres. Toute l'influence de Chaitanya Chinmay fut nécessaire pour les convaincre de prendre les risques demandés pour qu'enfin, après moult péripéties, Röschen "Rosamund" Krenz soit débarquée au port d'Orion...

Traînant péniblement sa lourde valise, la jeune femme dévala à toute vitesse l'allée du port, regardant de tout côté à la recherche des traces de désolation, elle se jeta sur le premier homme armé qu'elle aperçu, profondemment inquiète :

- Monsieur, que s'est-il passé ici ? Je viens d'arriver et on raconte tant de choses... horribles à l'étrangers, alors s'il vous plait que s'est-il passé depuis que je suis partie ?

- Ce qu'il s'est passé ? Ben ma 'tite dame... répondit le milicien en écrasant son mégot. Il parait que la famille Impériale a été faite prisonnière. Enfin, d'aprés les chefs des FRL, les Forces Révolutionnaires Libres. Y'a des gens qui disent qu'en fait la famille impériale est en exil... Mais c'est que des rumeurs. Le Palais du tyran a été pris, et beaucoup de casernes de l'armée impériale se sont rendus. Les tracts ont été plus efficaces que les fusils, héhé heureusement !

Forces Révolutionnaires Libres... Palais du tyran... Exil, prison... Tout se bousculait dans l'esprit de la jeune femme sans qu'elle puisse tout digérer. Alors c'était vrai ? La révolution, la fin de la monarchie ? Etait-ce le début d'une... république ? Rien que ce mot la fit frissonner, Dastornia ne méritait pas un régime aussi instable.

- Est-il vrai qu'ils ont mis le Palais à feu et à sang ? Que des partisans de l'Empereur sont exécutés tous les jours ?

Le milicien parut trés étonné.

- Ha non, le Palais est toujours debout. C'est vrai que c'est au Palais qu'il y a eu le plus de combats, mais y'avait pas tellement de combattants engagés. Deux cents, trois cents, je pense. C'est aussi là que y'a eu les seuls exécutions, parce que y'avait les impérialistes les plus ardus. Inutiles d'essayer de les faire rejoindre le camp du peuple et qu'il laissent l'empereur perdre la plupart de ses pouvoirs.

Tout doucement, Rosamund commença à se calmer. Le massacre était de moindre ampleur en comparaison à qu'on lui avait laissé entendre dans le Namkha... Propagande ? Non, Chaitanya ne lui aurait jamais volontairement menti sur la situation de son pays, sûrement y a-t-il eu quelques exagérations à force de bouches à oreilles. Ce ne serait pas la première fois...

- Merci, soupira-t-elle, rassurée. Savez-vous ce que les révolutionnaires ont l'intention de faire maintenant ? Ils sont Merksistes, n'est-ce pas ? Ils vont déclarer la... la République ?

- Je ne sais pas m'dame. Mais j'ai entendu dire qu'en fait, contrairement à ce qui était prévu, "on" aurait tendance à vouloir unifier les valeurs dastorniennes, dans un drôle de régime mélangeant l'empire, la république, et peut-être la religion... Un drôle de truc... Mais sans doute que ça unifiera l'pays... Nan, nan, "on" est inspiré du merksisme, mais c'était une révolution du peuple pour sa liberté, et pas pour une idée. Politique j'entends. Enfin, vous m'comprenez... Il fronça légèrement les sourcils, semblant se souvenir d'avoir déjà vu la jeune femme. Sur une affiche, mais il ne se rappelait pas. " On ne se serait pas déjà rencontré m'dame ?"

Elle secoua la tête, perplexe. Elle ne comprenait rien au chariabia de l'homme d'arme.

- Je ne crois pas, votre visage ne me dit rien monsieur... Mon nom est Röschen Krenz, mais la plupart des gens m'appelle par mon nom de scène, Rosamund.

- Rosamund ? La cantatrice ? Ha j'y crois pas ! Vous êtes rentrée au pays ? Mais laissez moi vous accompagner, une dame comme vous devrait pas rester toute seule. Vous avez un endroit où aller ? répondit-il guilleret.

- Merci, je, c'est à dire... J'avais un appartement avenue des peupliers mais je ne sais pas si, avec la révolution et tout ça... Il n'y a pas eu de pillage j'espère ?

- Seulement les maisons des bourgeois, et encore, seulement au début de la révolution. Ce n'était pas un quartier de riches le votre j'espère ?

- Eh bien, ce n'était pas vraiment un quartier populaire, il y avait... une ou deux maisons assez cossues, mais mon appartement était petit à côté... Vous croyez qu'il a été attaqué aussi ? J'y avais investi presque toutes mes économies...

- Hum, au lieu de se faire des idées, le mieux est d'aller voir ! Avenue des Peupliers vous disiez ?... Hum je crois voir où c'est, elle rejoint le boulevard qui donne sur le port, et c'est dans mon secteur de patrouille. Laissez moi votre valise et allons-y. La valise dans une main, le fusil en bandoulière, il accompagna Rosamund, remontant le boulevard. Sur les maisons, de nombreuses affiches étaient visibles. Les plus anciennes appelant à la grève... d'autres parfois recollées dessus appelaient à la révolution... Et les plus récentes criaient victoire, avec une grosse touche de propagande populiste.

Les rues avaient changées. En fait, seuls les gens avaient changés. On ne voyait plus de voitures luxueuses mais les modèles ouvriers de la Nord Motor Company, et beaucoup de bicyclettes. Si les gens semblaient plus pauvres, c'est parce que la proportion de gens aisés ne se voyait plus. Pas de traces d'incendies, pas de traces de balles sur les murs. Ce n'était pas la même révolution que celle dont avait entendu parler Rosamund.

Ils arrivèrent. Rosamund lui indiqua où était sa maison, visiblement restée intacte, mis à part quelques fenêtres brisées comme les maisons du voisinage.

S'emparant de sa clé, la Cantatrice ouvrit la porte et se précipita à l'intérieur, vérifiant conscientieusement que tout était à sa place. Mais rien n'avait changé, sinon une brique qui avait attéri en plein milieu du salon, sûrement l'attentat aveugle qui avait brisé la fenêtre... Rosamund poussa un soupir de soulagement.

- Merci monsieur, lança-t-elle à son guide. Mais entrez, monsieur, je vous en prie ! Voulez-vous boire quelque chose ? Du thé, ou autre chose ? J'ai ramené quelques souvenirs culinaires du Mnibet, ce sera ma manière de vous remercier pour vos services...

- Ho je heu... il parut gêné, hésitant... C'est que, ça m'fait mal au coeur de devoir refuser, mais si jamais mon off'sup' s'apercevait que j'étais pas à mon poste... Vous comprenez m'dame.

Elle hocha la tête, déçue mais compréhensive. Elle aurait aimé l'interroger plus longuement sur les évènements récents mais ces militaires, qu'ils soient impérialistes ou révolutionnaires, étaient d'une indécrottable rigueur...

- Bien monsieur, je ne vous retiens pas... Ce sera peut-être pour une prochaine fois ? Vous avez un nom, monsieur ?

Felbert Diotré m'dame, répondit-il en hochant la tête, avec la main à hauteur du front comme s'il avait un chapeau à incliner. J'ai été ravi de vous rencontrer m'dame Rosamund. Au revoir m'dame Rosamund.

Il rejoignit la rue et sa zone de patrouille.

La jeune femme le regarda partir, l'air amère, avant de commencer à ranger son appartement. Demain, elle irait constater elle-même ce qui s'est passé...